Comment l’autisme impacte l’appétit

Je suis Maud Brabants, diététicienne-nutritionniste à Saint-Germain-en-Laye et à Colombes. J’accompagne les adultes et les adolescents dans leurs objectifs de santé et de bien-être.

Dans cet article, je vous propose de comprendre comment l’autisme impact la régulation de l’appétit, et que faire pour améliorer cet aspect.

Il est fréquemment observé que les personnes autistes ont un rapport aux sensations internes atypique, ce qui se retrouve également dans le comportement alimentaire. L’autisme modifie profondément la perception et la régulation des signaux de faim, de rassasiement et de satiété à travers plusieurs mécanismes neurophysiologiques interconnectés. Ces difficultés s’expliquent principalement par des altérations de l’intéroception, du traitement des signaux hormonaux et de la connectivité des réseaux neuronaux impliqués dans la perception des états corporels internes.

Pourquoi ? 

Déficit interoceptif : la connexion corps-cerveau

L’intéroception est la capacité à percevoir, interpréter et réagir aux signaux internes du corps. Ces signaux peuvent par exemple être la faim, la satiété, la soif, la température corporelle, ou encore la douleur. Lors d’un TSA, cette capacité est souvent perturbée, pouvant déconnecter le corps et le cerveau.

En même temps, des recherches montrent qu’il existe une discordance entre la sensibilité interoceptive subjective (ce que la personne pense percevoir) et l’exactitude interoceptive objective (ce qu’elle perçoit réellement).

Cette perturbation se manifeste de plusieurs façon sur l’alimentation :

  • Absence de reconnaissance de la faim : notamment les signes physiques primaires (gargouillis, salivation, creux dans le ventre…). Cependant, les signes secondaires le sont généralement, mais non attribués à la faim (maux de tête, douleurs abdominales, changements d’humeur, obsession pour la nourriture…),
  • Difficulté à percevoir le rassasiement : Certaines personnes ne reconnaissent pas le rassasiement avant d’atteindre l’état de douleur et de trop plein,
  • Hypo ou hypersensibilité : en cas d’hyposensibilité, l’identification des états émotionnels et sensations liées à l’alimentation peut être difficile. Et au contraire, lors d’hypersensibilité les sensations post ingestion (plénitude, digestion, déglutition…) peuvent être désagréables.

Aspect hormonal : leptine et ghréline

La régulation de l’appétit se fait par divers mécanismes, l’un d’eux est hormonal. Les principales hormones régulatrices de l’appétit sont la leptine et la ghréline, et certaines études ont mis en évidence des anomalies les concernant chez les enfants TSA :

  • La leptine = hormone de satiété produit par le tissu adipeux. Elle serait significativement plus élevée chez les enfants autistes comparativement aux enfant neurotypiques. Cependant, malgré ces niveaux élevés qui devraient théoriquement diminuer l’appétit, les problèmes de régulation alimentaire persistent, suggérant une possible résistance à la leptine ou une défaillance dans la transmission du signal de satiété. (PMID 32583136 et 38951775)
  • La ghréline = hormone de la faim, elle est produite principalement par l’estomac. Les résultats sont plus hétérogènes, certains rapportent des niveaux plus faibles lors de TSA, et d’autres plus élevés. Des recherches sont donc à poursuivre.

 

Des circuits neuronaux intéroceptifs atypiques

L’architecture neuronale modulant l’intéroception présente plusieurs particularités lors d’un TSA, affectant donc les perceptions de faim et satiété. Cependant, il n’y a actuellement pas de consensus, beaucoup sont toujours des théories.

Un cortex insulaire hyporéactif

Région clé de la conscience intéroceptive (mais aussi de l’empathie, la douleur, le soi/non soi, la cognition sociale, et encore d’autres. Il intervient en partie dans la théorie de l’esprit), son activation est parois réduite ou altérée. Cela peut à la fois impacter la perception mais aussi l’intégration.

Un nerf vague irrégulier

Le nerf vague joue également un rôle essentiel dans la transmission des signaux intéroceptifs entre l’appareil digestif et le cerveau. Chez les personnes autistes, des irrégularités du système nerveux autonome impliquant le nerf vague ont été documentées. Ces dysfonctionnements peuvent se traduire par des problèmes gastro-intestinaux (nausées, constipation, diarrhée) affectant jusqu’à 91% des enfants autistes. Le dysfonctionnement vagal contribue également à une régulation émotionnelle altérée et à une réactivité accrue du système nerveux, intensifiant les sensations corporelles désagréables.

Quelles sont les conséquences ? 

Ces altérations neurophysiologiques se traduisent par des comportements alimentaires spécifiques :

  • Hyperphagie et surconsommation

Environ 50% des enfants autistes présentent un appétit augmenté, avec 47% consommant de grandes quantités lors des repas principaux. L’hyperphagie, caractérisée par un désir incontrôlable de manger au-delà des signaux de faim réels, est fréquemment observée. Cette surconsommation peut servir de stratégie d’autorégulation sensorielle ou émotionnelle, l’acte de manger procurant des sensations prévisibles et contrôlables aidant à gérer l’anxiété.

  • Restriction alimentaire et oubli des repas

A l’inverse, l’absence de reconnaissance de la faim conduit certaines personnes autistes à sauter des repas de manière répétée, entraînant des hypoglycémies, de l’irritabilité et des difficultés de concentration. Lorsqu’elles réalisent finalement qu’elles doivent manger, si des aliments sensoriellement acceptables ne sont pas disponibles, elles peuvent préférer sauter le repas plutôt que de risquer une expérience désagréable.

  • Sélectivité alimentaire

Jusqu’à 70% des enfants autistes présentent des formes d’obsession alimentaire ou de comportements alimentaires restrictifs. Cette sélectivité est souvent motivée par des préférences pour des textures, saveurs ou températures spécifiques fournissant une expérience sensorielle confortable et prévisible. La sélectivité alimentaire constitue le comportement alimentaire atypique le plus fréquent dans l’autisme

  • Troubles du comportement alimentaire

Les personnes autistes présentent un risque accru de développer des troubles alimentaires comme l’anorexie mentale ou le trouble d’alimentation sélective/évitante (ARFID). Contrairement à l’anorexie, l’ARFID n’implique pas de préoccupation concernant le poids ou la silhouette, mais une restriction alimentaire motivée par les propriétés sensorielles des aliments ou des croyances que manger pourrait avoir des conséquences négatives (étouffement, vomissement, contamination). 

Et on fait quoi ? 

On évalue

Que ce soit lors de l’entretien clinique ou par un questionnaire, la première étape est de vérifier l’ampleur et l’impact de cette particularité. En même temps, il est pertinent d’effectuer une évaluation anthropométrique, bilan biologique, et dépistage des troubles gastro-intestinaux.

On observe

Par le biais d’un journal d’observation de 3 à 7 jours qui inclura : aliments consommés, quand, dans quel contexte environnemental et émotionnel, quels sont les signaux physiques perçus ou non avant et après les repas, la présence ou non d’un comportement d’évitement ou de surconsommation. Ainsi, on pourra observer à la fois le comportement mais aussi les préférences et aversions sensorielles spécifiques.

On définit des objectifs à long terme

Généralement, ca sera : 

  1. Prévenir les risques nutritionnels immédiats,
  2. Etablir une structure alimentaire sécurisante,
  3. Améliorer la conscience intéroceptive,
  4. Elargir le répertoire alimentaire si nécessaire,
  5. Développer l’autonomie alimentaire.

Puis on agit

Par des mélanges entre apports de connaissances et actions concrètes…

Cela commencera avant toute chose par l’établissement d’une routine alimentaire structurée et prévisible. ⚠️ On ne conditionne pas les repas à la faim, cette dernière étant complexe à ressentir. Ainsi : manger à des horaires fixes et prévisibles, fixer une durée limitée des repas, permettra de compenser l’absence de signaux internes fiables.

En même temps, il sera nécessaire de créer au mieux un environnement sensoriel confortable.

Ensuite, il sera possible de s’entrainer à la conscience intéroceptive, tout en ayant conscience qu’elle ne sera jamais parfaite. Cela peut se faire par l’observation de ses sensations, le fait de les nommer. Utilisation de la pleine conscience pour travailler sur le corps, les émotions et l’action. Par exemple avec des scan corporels, des respirations guidées. De la pleine conscience alimentaire adaptée.

Cependant, il est nécessaire de noter que la lutte contre l’absence de signaux interne est contre-productif. Un travail sur l’acceptation de ce fait comme faisant partie de la réalité autistique peut être nécessaire afin de réduire la lutte et de libérer de l’énergie pour des actions engagées.

Le tout en étant accompagné(e)

  • Diététicien-nutritionniste: Coordination du suivi nutritionnel, éducation alimentaire adaptée
  • Ergothérapeute: Évaluation et intervention sur les aspects sensoriels, développement es habiletés motrices orales, adaptations environnementales
  • Orthophoniste: Évaluation et traitement des difficultés oro-motrices, troubles de déglutition
  • Psychologue formé aux TCC/ACT: Soutien pour la régulation émotionnelle, gestion de l’anxiété alimentaire
  • Médecin généraliste ou pédiatre: Suivi médical global, prescription d’examens complémentaires, gestion des comorbidités
  • Gastro-entérologue (si troubles digestifs): Diagnostic et traitement des problèmes gastro-intestinaux

N’hésitez pas à vous faire aider.

Etudiant, RSA, AAH... une réduction est possible (sur justificatif)